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Jean Claverie, l'esquisse swing.
"Auteur d’une quarantaine de livres dont certains sont des standards du genre, le lyonnais Claverie fête aujourd’hui ses trente ans d’édition, signature reconnue de l’illustration jeunesse exposée au centre Georges Pompidou en 1978, à la BNF en 2001 ou encore au Norman Rockwell museum ( Massachusetts) en 2005. Juché dans un village des Monts d’Or dominant la capitale des Gaules, il aborde la soixantaine avec l’honnête sentiment du devoir accompli. L’ancien professeur de croquis à l’école Emile Cohl de Lyon poursuit une œuvre singulière, paisible et élégante, douce et intemporelle. Faisons un jam avec lui, une Jean session.
Confluence de la Saône et du Doubs, la petite ville de la Bresse bourguignonne de Verdun-sur-le-Doubs a accueilli très tôt le petit Jean, né le 4 janvier 1946 à Beaune, à une vingtaine de kilomètres de là. « Mes parents s’y sont connus en 1943, précise Jean Claverie. Papa, alors auréolé de la gloire du résistant, avait su séduire ma mère qui avait fui Toulon avec sa famille pour se réfugier dans la vieille maison de famille de la région verdunoise. ».
Enfant calme et rêveur, on l’imagine naturellement meubler de dessins les marges de ses cahiers. « Le plaisir du dessin est certainement aussi quelque chose qui me reste de l’enfance ». Mais quel chemin parcouru entre l’hésitation de ces vagabondages et la somptuosité de ses lumineuses aquarelles aux accents japonistes qui font sa popularité. Cette leçon du japonisme de la génération impressionniste lui est très tôt transmise par un imagier émerveillé, le savoyard Paul Gaget-Tancrède (1907-1992), alias Samivel. Samivel, sésame pour évoquer Claverie. Immanquablement, la filiation saute à l’œil averti, d’autant plus pertinente que le petit Jean savoura admiratif son Brun l’ours (1938, Delagrave), Les malheurs d’Ysengrin (1939, toujours chez Delagrave) ou encore, plus tard, Merlin Merlot (1968, Père Castor). Aussi, le premier livre de Jean Claverie, Le joueur de flûte d’Hamelin paru chez Lotus-Garnier en 1977, est né de sa passion pour un récit dont le brillant Samivel avait déjà donné une version chez Flammarion en 1968, version dans laquelle la cité ressemblait à la ville heureuse où notre jeune verdunois vécut ses sept premières années.
Les livres pour enfants étant rare après guerre, le petit Jean lisait ceux de sa grand-mère maternelle et de sa mère. « Seul samivel m’avait été offert ainsi que quelques « Père castor » illustrés par Rojanovski… dont j’ai retrouvé la trace bien après comme dessinateur érotique ! ». Dans ce contexte où les illustrés ne subissaient aucun interdit parental, les lectures d’enfance de Jean le mènent aussi vers la bande dessinée des pionniers français, des Bécassine de Joseph Pinchon (1871-1953) aux Pieds nickelés de Louis Forton (1879-1934) en passant par le Gédéon de Benjamin Rabier (1864-1939). « J’aimais chez Pinchon l’image d’une vie facile, celle que « bécassine aux sports d’hiver », les belles limousines, l’insouciance de Lolotte… ». Le jeune Jean apprend à lire grâce aux quelques lignes courant sous les cases. « Elles n’étaient pas qu’un simple pléonasme ; leur invention complétait déjà l’image ! ». « La télé n’existait pas, ajoute-t-il, et je pouvais aussi m’abîmer une heure ou deux dans les pavés » des gros Larousse, surtout les planches d’architecture, d’habit militaire et de peinture, notamment celle des « peintres pompiers ».
Après sa « philo » au lycée Ampère de Lyon sous la férule du normalien Bernard, il aborde sa vraie voie. Aujourd’hui encore, un de ses fantaisistes condisciples d’alors, Pierre-Yves Lévêque, se souvient « d’un bon élève, sérieux, charmant et très agréable. ». Pourtant, « Mes parents n’avaient pas d’autre choix que celui des Beaux-Arts, ma vocation scientifique paraissant bien compromise par mes résultats en maths. ». Formé ensuite à l’école des Beaux-Arts de la ville, puis aux Arts déco de Genève, le jeune Claverie réalise probablement aussi le propre rêve de ses parents qui « tous deus aimaient dessiner. » et qui avaient traîné le futur illustrateur et son frère dans les lieux d’art et d’histoire sur la route des vacances. « Les châteaux cathares, ceux de la Loire, le Louvre, le musée Toulouse-Lautrec à Albi, tous ces lieux m’ont marqué de façon indélébile. ».
Après avoir expérimenté divers médium à ses débuts, de l’huile à l’acrylique, sa technique s’est fixée sur un mélange de dessin réalisé à la mine graphite ou au carbone, de pastel sec et d’aquarelle s’ancrant dans la somptueuse profondeur du papier Arches satiné. Chez Claverie, la couleur évocatrice prend le pas sur le naturalisme : ses camaïeux de couleurs n’imitent pas la couleur propre des choses mais les nimbent dans une atmosphère colorée globale, d’où ressortent ponctuellement des taches focalisantes. Souvent, il laisse respirer l’illustration en laissant apparaître alentour la blancheur de la feuille, semblable à l’œil qui focalise sur son seul centre d’intérêt. Vif, souple, dynamique, élégant, son virtuose crayonné à la mine de plomb s’y superpose, reprenant ainsi la leçon picturale du fauve Raoul Dufy dissociant fond et forme. On ne dira jamais assez combien l’art figuratif banni des cimaises s’est réfugié aujourd’hui dans le livre jeunesse.
Trois thèmes récurrents traversent son travail, le conte, la musique et l’enfance, naturellement.. D’illustrateur, Claverie se mue peu à peu en écrivain, abandonnant les contes traditionnels de ses débuts, (Oscar Wilde, Charles Perrault) et contemporains, (Michel Tournier, Paul Auster) pour se consacrer à sa propre écriture. « C’est certainement l’image qui m’a fait ce cadeau. A force d’illustrer les textes des autres, un beau jour je me suis dit « pourquoi pas ? » . Pourtant, ses collaborations ont engendré de belles rencontres ; ainsi, le romancier mythologique Michel Tournier et lui-même avaient eu un échange très sympathique lors de la sortie de Que ma joie demeure, un conte de Noël édité voici vingt-cinq ans. L’ermite de Choisel « avait été surpris par ma fin qui montre son héros ne connaissant pas la rédemption grâce à l’archange. Ce n’est qu’un trucage de cirque qui fait s’envoler un enfant déguisé en ange. Mais il avait compris que cette édition n’aurait qu’un temps et qu’un jour, un autre illustrateur prendrait moins de liberté… ».
La musique. « Boogie Claverie » est de ces enfants de l’immédiat après-guerre qu’a façonné la culture américaine débarquée avec les libérateurs en juin 1944. Une adolescence jazzy, notamment sous le tempo d’un alors jeune pianiste noir américain, Memphis Slim, dont Mother Earth et Every day I have the blues résonnent encore…Consécration personnelle aux oreilles de ce fondu de blues par ailleurs chanteur et guitariste dans une formation de blues et de rythm’n blues, l’idole de son adolescence écrit la préface d’un album standard, Little Lou (1990), sans en voir la parution malheureusement puisque tirant sa révérence en 1988…
L’enfance. L’art du pot demeure l’un de ses succès majeurs, fruit de sa collaboration avec Michèle Nickly, son épouse à la ville. A l’instar de chacun de ses albums, une heureuse légèreté, une candeur paisible, un optimisme contemplatif émanent de son travail . Minois enjoués et bouilles rondes de joyeux marmots abondent ; même les personnages négatifs ne le semblent pas foncièrement, tant la gentillesse légendaire de son auteur irradie son graphisme. D’ailleurs, demanderait-on à Botéro d’illustrer la laideur du monde ?
L’admiration de Claverie pour Samivel permettrait-elle d’espérer voir un jour une adaptation du prémonitoire roman écologiste de son aîné, Le fou d’Edenberg , qui tutoya le prix Goncourt en 1967 ? M’est-il permis de rêver de voir ainsi la boucle se boucler ? Entre une improvisation au clavier, un rêve d’architecture médiévale et un projet en cours…
En attendant, Claverie peaufine un prochain ouvrage, L’art de l’ennui, « dont on sait bien qu’il est fécond . ». Ainsi s’écoule la calme vie du poleymoriot où le labeur quotidien transforme ce rêve d’enfant en images heureuses. Elle s’écoule lentement comme la Saône en contrebas, discrète et puissante à la fois.
Depuis Verdun-sur-le-doubs, elle a pris de l’ampleur, la Saône."
Miniac.
Bibliographie succinte :Que ma joie demeure, texte de Michel Tournier, Gallimard, Enfantimages, 1982.
L’art des bises, texte de Michèle Nikly, Albin Michel, 1993.
Little Lou, tome 1 et 2, Gallimard, 1990 et 2003. Totem de l’album 1990 à Montreuil et mention graphique à la Foire du livre jeunesse de Bologne 1991.
L’art de lire, texte de Michèle Nikly, Albin Michel, 2001.