Miniac

Un ancien des Gobelins-école de l'image(Paris) ouvert à toutes les propositions graphiques.
A former Gobelins School of Image (Paris) open to all proposals graphics.


vendredi

Sous les pavés, le gag.


Qui ne connaît pas Cubitus, le chien blanc débonnaire à la ronde truffe noire et à la queue jaune ? Si vous n'avez pas lu l'un des quarante deux albums de cette BD, ni croisé un de ses gags dans une revue télévisée, sans doute avez-vous collé un timbre avec sa trombine sphérique ? Ce personnage majeur de la bande dessinée européenne, créé par le belge Dupa en 1968, fêtera en avril prochain ses quarante ans, tout comme une certaine révolte estudiantine. C'est l'occasion pour Livres en vie de se pencher sur cette série humoristique reprise depuis peu par le talentueux Michel Rodrigue. Sous les pavés, pas de plagiat.

"C'est par un heureux hasard, le 16 avril 1968, que Cubitus apparaît dans le numéro 1017 de l'hebdomadaire à houppette Tintin, bouchant un trou de dernière minute... Gag après gag, Luc Dupanloup, alias Dupa, son créateur de vingt-trois ans, installe un univers loufoque, un huis-clos humoristique dans une banlieue anonyme, avec une étonnante économie de personnage et de décor. Autour du chien blanc anthropomorphique, gravite son voisin honni, le chat noir Sénéchal, mais aussi Sémaphore, un vieux loup de mer faisant office de maître, bien que cette relation maître-chien soit souvent inversée. Si l'essentiel de la série est constitué de gags en une planche, pour autant certains albums sont des recueils d'histoires courtes, voire de longues histoires. Ce court format autorise les éditions du Lombard, éditrices de la collection, à diffuser celles-ci dans la grande presse, assurant un plus ample succès qu'une série strictement cantonnée au domaine de la presse BD, s'essoufflant aujourd'hui de surcroît.
La reconnaissance venue après une vingtaine d'albums, Cubitus se décline désormais sous forme d'une série de cent quarante quatre épisodes de dessins animés réalisés en 1988 par des studios japonais, faisant aussi l'objet d'une fresque murale au 109 rue de Flandre à Bruxelles, commandée par la ville en 1998, de timbres de la poste belge en 1994 ou encore d'une collection de timbres de la poste française en septembre 2006. Depuis 2002, une statue de Cubitus trône sur une place de Limal, bourg wallon où résidait son créateur.

Lorsque Luc Dupanloup disparaît subitement en 2000, victime d'un arrêt cardiaque à l'âge de cinquante-cinq ans, on aurait pu craindre de voir la série de Dupa disparaître, ou pire, s'enliser dans une reprise sans saveur. Heureusement, depuis trois ans maintenant, un duo d'auteurs, le dessinateur Michel Rodrigue et le scénariste Pierre Aucaigne, reprennent en main sa destinée, avec respect et gourmandise. Après s'être rodé au personnage en dessinant ses produits dérivés, Rodrigue souhaite faire des essais pour sa reprise en album, avec appréhension, peur étonnante si l'on sait que le chevronné isérois compte une vingtaine d'albums à son actif et notamment le dessin de trois tomes de Clifton de 2003 à 2006, au Lombard justement. Ce qui différencie essentiellement cette reprise des précédentes, c'est la charge émotive associée à cet héritage graphique. Car, une véritable affection liait Luc à Michel. « Par jeu, Dupa m'appelait fiston, petit ou gamin. Je le taquinais en l'appelant maman ! », se souvient le grand enfant à la carrure de rugbyman viennois.
Ce qui caractérise Dupa et Rodrigue, c'est leur générosité derrière une façade distante, pondérée pour le wallon, bourrue pour l'isérois. Pour ma part, dessinateur balbutiant en 1991, Dupa m’avait chaleureusement accueilli dans son antre bucolique de Limal, dans le Brabant wallon. Entre deux motos de collection en réparation et des rangements dignes d'un fonctionnaire de l'administration fiscale, il avait téléphoné à Roba pour me proposer pour la reprise de la série La ribambelle, offre que Dupa venait de décliner peu avant. Quel meilleur témoignage de ce trait de caractère.
La première fois que je rencontrai Michel Rodrigue, en 2002, il prétendait s'appeler Miguel Rodriguez et dessiner la célèbre série Mortadel et Philémon. En intervention scolaire devant une classe de Vigneux-sur-Seine, Michel parla de son métier dans un espagnol traduit par votre serviteur. Quelle surprise quand il expliqua finalement, adoptant soudainement la langue de Rabelais, que : « La bande dessinée, c'est avant tout raconter une histoire. Depuis, une heure, nous vous en avons raconté une !». Longtemps, Rodrigue se souviendra de la mimique déconfite de la maîtresse de Marcel Cachin et des applaudissements nourris des élèves, épatés d'avoir été pris à un tel jeu. Il est vrai que depuis longtemps, Rodrigue est marqué par la comédie. A plus d'un titre.
Originaire de Conand, dans l'Ain, un liliputien et rustique village des rudes terres du Bas-Bugey posé sur les hauteurs calcaires de Saint-Rambert, le jeune Michel découvre la BD par le biais du journal de Tintin, abonné par son grand-père Jean. Perdu dans cette vallée étoilée d'ancolies, de vignes et de hêtraies, le petit rêveur dévore aussi la collection paternelle des années 50, admirant déjà le trait rond et dynamique des Macherot, Dupa et autres Greg, admiration décidant naturellement de sa vocation de bédéiste. « Je n'étais pas peu fier de côtoyer les auteurs de mes lectures de jeunesse en entrant au Lombard en 1989 », précise aujourd'hui Michel Rodrigue. « Ah ! La tête de Tintin au-dessus de l'immeuble du Lombard à Bruxelles ! Et cette odeur chocolatée des usines Côte d'or dans tout ce quartier du Midi ! » poursuit-il, un brin nostalgique.
Pour l'heure, c'est dit, le petit bugiste fera une école d'art ! Triste décision ! Cette année démoralisante aux nihilistes Beaux-Arts de Lyon lui ôte l'envie même de dessiner ! Tout en obtenant une licence d'archéologie médiévale, Michel Rodrigue tourne alors avec la troupe de théâtre familiale, se destinant désormais à monter sur les planches, intégrant un temps la troupe lyonnaise de Jacques Weber au théâtre du huitième. A l'occasion d'une présentation à l'espace Gerson, le jeune comédien rencontre alors l'humoriste Pierre Aucaigne, qui se produit à l'époque dans les cafés-théâtres lyonnais. Rodrigue est loin d’imaginer que quinze ans après, ils feront revivre ensemble Cubitus, entre un enregistrement à la RTBF, un spectacle à la Comédie des Champs Elysées et une date à l'Olympia.
C'est d'ailleurs à la suite d'une représentation théâtrale que notre autodidacte retrouve ses premières amours, adaptant en BD Cyrano de Bergerac en 1986. Né le premier avril 1961 à l'hôpital Saint-Joseph à Lyon, le petit Michel avait pourtant vu les muses de la bulle se pencher sur son berceau, puisque né dans la même clinique que le fougueux René Pellos (1900-1998), le dessinateur de ces Pieds Nickelés dont il a dessiné trois albums dès 1990.
Désormais installé en Ecosse, le duo d'amis prend soin de ne pas trahir l'esprit de Dupa tout en réactualisant les situations, en y introduisant les objets de nouvelle technologie, à l'instar de son créateur initial, mais aussi de nouveaux personnages, tel Bidule, le neveu cloné de Cubitus, dont seul la couleur de la queue, orange, varie. Trois albums des Nouvelles aventures de Cubitus sont déjà parus, En avant toute ! en 2005, Un chien peut en cacher un autre en 2006 et En haut de la vague cette année, avec pour principe désormais récurrent de parodier un film en fin d'album. « J'espère, quoi qu'il en soit, que Dupa est fier du boulot. » conclue Michel.

Maman Dupa doit être fier de son rejeton. D'autres générations d'enfants vont s'amuser, c'est certain, aux facéties de cette attachante boule de poils. Quelle meilleure récompense que le rire des enfants ? D'ailleurs, attentif au renouveau du genre, l'immense Uderzo a récemment adressé ses félicitations à un Michel Rodrigue aux anges.
Assurément, cette reprise a du chien."


Miniac.